T. Francey, Dr.med.vet., DACVIM
Lire la traduction anglaise: Canine Leptospirosis and Its Challenges
Introduction
La leptospirose est une infection bactérienne causée par des spirochètes pathogènes du genre Leptospira. La classification la plus couramment utilisée de nos jours est toujours basée sur les caractéristiques sérologiques des souches pathogènes et crée une certaine confusion à cause des réactions croisées entre sérovars et de la faible corrélation avec des classifications plus modernes basées sur des méthodes d'analyse génomique. La plupart des sérovars pathogènes diagnostiqués sont classés en un nombre plus restreint de sérogroupes et sont inclus dans l'espèce principale L. interrogans, avec quelques exceptions incluses dans les espèces L. borgpetersenii et L. kirschnerii.
L'infection par des leptospires pathogènes peut causer un large spectre de manifestations cliniques avec atteinte rénale, hépatique, vasculaire, systémique, oculaire, neurologique et plus récemment pulmonaire. L'image clinique en résultant varie ainsi fortement d'un animal à l'autre en fonction notamment de la souche infectieuse et de la réaction de l'organisme. La leptospirose canine semble ainsi se modifier progressivement au cours des années en alternant entre manifestations à dominance ictéro-hémorragique, rénale ou pulmonaire.
La Leptospirose: Une Zoonose d'Importance Mondiale avec une Signification Locale
La leptospirose est considérée comme l'une des zoonoses les plus importantes au niveau mondial avec plusieurs dizaines de millions de cas humains par année. L'humain avec contact animal direct ou indirect est par conséquent à risque d'exposition ou d'infection par cette bactérie potentiellement fatale. L'introduction de vaccins bivalents canins contre L. icterohemorrhagiae et L. canicola dans les années 1970 et leur utilisation à très large échelle en les incluant dans la plupart des protocoles de vaccination de base au niveau mondial a fortement réduit dans un premier temps le nombre de cas de leptospirose canine. Par contre, au cours des dix dernières années, une ré-émergence de cas de leptospirose canine a été rapportée d'abord en Amérique du Nord puis en Europe également. Cette augmentation semble liée à l'émergence de "nouveaux" sérovars non-vaccinaux, tels L. bratislava, L. pomona, L. grippotyphosa et L. australis. Un shift vers de nouveaux sérovars dû à l'absence de protection vaccinale contre ceux-ci ne semble par contre être qu'un des facteurs expliquant le resurgissement de la leptospirose canine à large échelle dans nos pays industrialisés. Changements climatiques, facilités de déplacements, intensité des transports humains et animaux, popularité des sports aquatiques extérieurs, expansion de l'habitat humain et animal sur l'environnement sauvage ne sont que quelques-uns des facteurs conduisant à une intensification des contacts directs et indirects avec la faune sauvage et leur environnement, et par là à une exposition potentielle fréquente du chien et de l'homme aux leptospires pathogènes. L'environnement strictement urbain subit lui aussi des changements d'importance faisant que la leptospirose n'est de loin plus cantonnée à un environnement de type rural. Des études récentes au Brésil ont démontré des différences dans les infections humaines aiguës entre villes et villages, avec entre autre une prévalence plus élevée de la forme pulmonaire grave dans les métropoles urbaines qu'en zone rurale.1 Des observations similaires avec augmentation des cas urbains ont également été rapportées dans la métropole de Tokyo par exemple. D'autres études européennes ont démontré une forte prévalence d'infections par leptospires chez les petits rongeurs de milieu strictement urbain du centre ville de Zurich (12.6% de positivité par PCR tissulaire) et une forte séroprévalence chez les sangliers sauvages habitant les parcs de la ville de Berlin, indiquant un potentiel d'exposition élevé même pour les animaux et les humains vivant en milieu à prédominance urbaine.2,3 L'interrelation de ces paramètres géographiques, sociaux, et démographiques est certainement très complexe et dynamique. L'étude de leur rôle dans la propagation de la leptospirose et de ses manifestations cliniques chez les animaux domestiques devrait être favorisée par nos connaissances accrues de la biologie des leptospires ainsi que par l'éclosion de nouvelles technologies d'investigation dont des nouveaux protocoles de PCR et des systèmes de modèles épidémiologiques.
Au vu des contacts étroits entre humains et chiens et de leur exposition commune et fréquente à des facteurs de risque environnementaux, l'espèce canine pourrait bien jouer un double rôle épidémiologique comme source potentielle directe d'infection et comme espèce sentinelle. Il serait donc indiqué de considérer l'augmentation actuelle de la prévalence de la leptospirose canine comme un signal d'alarme pour les humains exposés de manière similaire. Une évaluation du risque humain pourrait par exemple ainsi être nuancée géographiquement sur la base des cas canins. Ceci est d'autant plus important que la leptospirose humaine n'est pas/plus sous contrôle officiel avec déclaration obligatoire dans la plupart des pays. La prévalence de cas humains est ainsi particulièrement difficile à évaluer et la maladie est couramment sous-diagnostiquée dans les pays occidentaux. En Allemagne, le nombre de cas humains recensés semble avoir augmenté au cours des dernières années et une étude récente semblerait lier la possession d'un chien à une prévalence d'infection augmentée.4
En étant exposés à un grand nombre de chiens malades et à un nombre vraisemblablement nettement plus grand de porteurs sains, le vétérinaire et son personnel assistant représentent un des groupes professionnels à risque pour la leptospirose avec les paysans, les travailleurs d'abattoirs, les travailleurs d'égouts, les jardiniers et les militaires de terrain. Les chiens souffrant d'insuffisance rénale aiguë comme manifestation clinique classique de la leptospirose excrètent des leptospires en grand nombre dans les urines, les selles, le sang et autres sécrétions corporelles. Ces chiens doivent impérativement toujours être considérés comme infectieux et des mesures de protection personnelle doivent être prises. Il ne faudrait par contre pas oublier que des chiens cliniquement sains ou des chiens évalués pour des problèmes différents peuvent également être porteurs asymptomatiques chroniques et excréter des leptospires par voie urinaire. Malgré un nombre de germes plus restreint, le risque posé par ces chiens asymptomatiques peut être même plus important vu l'absence de suspicion et par conséquent l'absence de mesure de protection prise lors du prélèvement et de la manipulation de spécimens biologiques. En zone endémique et selon la prévalence de cas cliniques, des mesures de protection personnelle peuvent être indiquées même pour ces groupes de patients moins frappants et elles devraient être incorporées dans les protocoles d'hygiène de routine de la pratique. Dans notre hôpital, nous considérons chaque chien en IRA comme suspect pour la leptospirose jusqu'à preuve du contraire. Ces chiens sont alors testés pour la leptospirose, ils sont traités par antibiothérapie adéquate dès leur présentation, ils sont clairement marqués comme suspects pour augmenter la prise de conscience du personnel, et ils sont toujours manipulés avec des gants (au minimum). Le personnel médical et technique doit être entraîné régulièrement pour maintenir une forte suspicion et pour ne pas négliger les mesures de protection parfois ennuyeuses et intrusives dans la pratique de routine. Une étude séro-épidémiologique récente du personnel de notre établissement nous a démontré le bien-fondé de cette pratique et la suffisance du protocole mentionné pour la prévention d'infections potentiellement létales chez notre personnel médical.5 Le risque zoonotique est par contre très bien documenté dans la littérature médicale et ne devrait malgré tout pas être sous-estimé et banalisé au vu de la fréquence élevée de contacts avec des chiens atteints.
Leptospirose Canine en Europe et en Suisse
Peu après la ré-émergence de la leptospirose canine en Amérique du Nord dans les dix dernières années, un nombre croissant de cas a été observé dans plusieurs pays européens également, dont la France, l'Allemagne et la Suisse. Le nombre de cas diagnostiqués à l'Université de Berne a augmenté d'une moyenne de 1-3 cas par an dans les années 90 à plus de 25 cas confirmés par an 10 ans plus tard.6 Cette augmentation a également été observée dans d'autres parties du pays et dans les pays voisins et a fait l'objet de quelques rapports alarmants dans la presse. Les cas récents se sont manifestés chez des chiens correctement vaccinés (plus de la moitié des chiens avaient été vaccinés dans les 6 mois précédant la maladie). Les sérovars identifiés par séroconversion semblent varier quelque peu géographiquement avec une prédominance pour L. australis et L. bratislava, suivis de L. grippotyphosa, L. pomona et L. autumnalis.
La manifestation clinique de la leptospirose canine est très variable et elle est vraisemblablement influencée par des facteurs liés à l'hôte, au pathogène et à l'environnement. Le large spectre des organes potentiellement affectés avec les combinaisons d'atteinte rénale, hépatique, systémique et pulmonaire semble en perpétuel changement. Des accumulations spatio-temporelles de cas semblables sembleraient indiquer la présence de souches munies de facteurs de virulence particuliers ou la présence de facteurs environnementaux causant une image clinique précise chez les chiens affectés. La classification sérologique des souches impliquées sera vraisemblablement insuffisante (trop insensitive) pour évaluer leur relation à des images cliniques particulières mais les techniques de biologie moléculaire devraient être mieux à même d'évaluer ces relations et d'approfondir nos connaissances de ce pathogène important. Similairement au shift passé d'une forme clinique à manifestation ictéro-hémorragique prédominante vers une forme rénale, l'image clinique actuelle observée à l'Université de Berne semble subir un nouveau changement vers une forme à dominance respiratoire.7,8
Hémorragies Pulmonaires Associées a la Leptospirose (LAPH)
Chez un nombre croissant de chien souffrant de leptospirose aiguë, l'image clinique est dominée par une défaillance respiratoire grave et souvent fatale résultant d'hémorragies sévères dans l'espace interstitiel et alvéolaire pulmonaire. Une évaluation prospective de cette nouvelle manifestation a indiqué une très forte prévalence (>80%) de chiens affectés cliniquement ou radiographiquement lors de l'admission à l'hôpital pour une leptospirose.7 L'atteinte rénale semble de moins en moins le facteur limitant du succès thérapeutique avec plus de 40% des chiens euthanasiés pour défaillance respiratoire. Le mécanisme des lésions pulmonaires est encore peu clair, mais les hypothèses les plus plausibles semblent indiquer une combinaison de facteurs de virulence spécifiques de certaines souches avec des facteurs de la réponse de l'hôte en direction de mécanismes auto-immuns.9 Le chien semble être un modèle naturel de la forme grave de la leptospirose humaine avec des manifestations respiratoires similaires. Cette forme est également associée à des taux élevés de mortalité (30-60%).
Le traitement des chiens atteints de leptospirose pulmonaire reste un défi permanent et nécessite une approche intensive avec thérapie d'épuration rénale (hémodialyse) et de soutien respiratoire (ventilation artificielle). Les cas moins graves peuvent cependant être traités par une approche plus conventionnelle de fluidothérapie et de traitement pharmacologique. Les buts thérapeutiques doivent viser à corriger les dérangements hydriques, électrolytiques et acido-basiques, à atténuer les manifestations gastrointestinales et à traiter l'infection par une antibiothérapie appropriée (en général pénicillines et doxycycline). Une approche globale de tous les problèmes de l'IRA avec des buts réalistes est essentielle au succès thérapeutique. Il faut faire particulièrement attention à ne pas essayer de compenser les limites inhérentes (et souvent frustrantes) du traitement par une sur-thérapie qui ne conduit qu'à des complications additionnelles. La fluidothérapie doit par exemple être adaptée à la production urinaire vu que celle-ci est limitée et peu influençable. Une administration excessive de fluides ne conduit qu'à la formation d'oedèmes périphériques et pulmonaires qui dans ce cas-là vont encore détériorer la fonction respiratoire et accélérer la défaillance de l'animal. Repousser les limites thérapeutiques ne peut se faire qu'au moyen de techniques d'épuration rénale ou de ventilation artificielle selon les cas.
Le traitement des hémorragies pulmonaires chez le chien demande une forte suspicion pour un diagnostic précoce et une intervention prudente. Au vu de notre compréhension limitée de la pathogénie des lésions pulmonaires, une intervention ciblée n'est pas possible et la thérapie se limite souvent à éviter la péjoration des hémorragies en gardant ces chiens très calmes (sous sédation si nécessaire), à faire extrêmement attention au bilan hydrique et au contrôle de la tension artérielle, et à offrir une oxygénothérapie si nécessaire. Des traitements plus spécifiques avec administration de desmopressine (DDAVP) ou de corticoïdes ont été décrits avec plus ou moins de succès pour les humains atteints de leptospirose pulmonaire, mais ils sont restés sans succès pour le moment lorsqu'utilisés chez le chien.10,11,12
References
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6. Francey T. (abs) JVIM 2006.
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9. Medeiros, et al. Acta Tropica 2010 [epub].
10. Schweighauser A, et al. (abs) JVIM 2008.
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