Démodécie du Chien et du Chat
World Small Animal Veterinary Association World Congress Proceedings, 2010
Didier-Noël Carlotti, Dr.vét., DECVD
Eysines, Bordeaux, France, EU

Lire la traduction anglaise: Canine and Feline Demodicosis

Introduction

Les Demodex spp. sont des acariens spécifiques d'hôtes et des résidents normaux dans les follicules pileux de la plupart des animaux domestiques et de l'homme. Ils constituent en fait une partie de la faune normale de la peau du chien et du chat, où ils sont présents en petit nombre chez beaucoup d'individus sains. Récemment, des demodex courts et vivant en surface ont été identifiés chez le chien et le chat.

Demodex canis

La démodécie canine (gale démodécique) est une dermatose non contagieuse rencontrée habituellement chez les jeunes chiens chez qui la population de l'acarien folliculaire Demodex canis est présente en nombre bien plus grand que normalement. La démodécie localisée et la démodécie généralisée sont des maladies très différentes. Demodex canis (Leydig, 1859) est un petit acarien (200-300 µ) cylindrique allongé muni de 4 paires de courtes pattes et d'un abdomen effilé. La transmission se fait par contact direct de la mère aux chiots durant les 2 ou 3 premiers jours suivant la naissance. Le cycle parasitaire se déroule complètement sur l'hôte: œuf fusiforme larve à 6 pattes protonymphe à 8 pattes adulte. Chez le chiot normal, une faible multiplication du parasite ne provoquera pas de lésions, alors qu'une multiplication modérée entraînera l'apparition d'une démodécie localisée guérissant spontanément. Dans les démodécies cliniquement graves, il y a un environnement cutané en fait favorable écologiquement à une intense colonisation par le parasite. Il est probable que la démodécie généralisée est une maladie immunologique. L'hypothèse suivante est réaliste: "la démodécie généralisée juvénile est la conséquence d'une déficience T-lymphocytaire spécifique et héréditaire (lymphocytes T suppresseurs?), permettant la multiplication de Demodex canis (hôte normal de la peau du chien), induisant la production d'un facteur humoral (complexe antigène-anticorps parasitaire) qui est la cause d'une immunosuppression T-lymphocytaire généralisée secondaire". Cette immunodéficience à médiation cellulaire est à l'origine d'une pyodermite profonde grave (cellulite).

Il n'y a pas de prédisposition sexuelle. La démodécie est habituellement une maladie du jeune chien (moins de 2 ans): < 12 mois pour la démodécie localisée, et généralement < 18 mois pour la démodécie généralisée. La démodécie de l'adulte apparaît chez le chien plus âgé. La démodécie apparaît plus communément chez les chiens de race pure comme les Dobermans, Dogues allemands, Chihuahuas, Bobtails et Shar-Peis. Il y a plusieurs formes de démodécie localisée. Dans la forme nummulaire, une ou plusieurs zones d'alopécie bien circonscrite, érythémateuses et squameuses (arbitrairement jusqu'à 5) sont découvertes en différentes régions: la face (zone périorbitaire, commissures des lèvres), membres antérieurs, plus rarement tronc, abdomen et membres postérieurs. Cette forme est habituellement non prurigineuse. Il n'y a pas d'adénopathie. 90% des cas entrent en rémission spontanée en quelques semaines à quelques mois (puberté?). La forme diffuse est plus extensive et est caractérisée par de l'érythème, de l'hyperpigmentation, des comédons et une séborrhée. Elle est parfois prurigineuse. Elle peut évoluer vers la forme généralisée mais peut régresser spontanément. La pododémodécie est une forme de pododermatite, parfois exclusive, avec érythème, suintement et finalement cellulite, qui entraîne douleur et boiterie. Dans l'otodémodécie on observe une otite externe érythémato-cérumineuse, parfois exclusive, avec un prurit modéré. Dans la démodécie généralisée les lésions deviennent généralisées avec le plus souvent une furonculose/cellulite secondaire. On observe érythème, oedème, séborrhée (squames et croûtes), nécrose (cellulite), suintement, suppuration sanieuse accompagnés de douleur, d'adénopathie (régionale ou généralisée) et d'abattement. Le pronostic est réservé sans traitement approprié (mort spontanée ou euthanasie).

Le diagnostic est basé sur l'anamnèse (jeune chien, absence de prurit, maladie non contagieuse, maladie familiale), les signes cliniques (lésions et topographie), les raclages cutanés avec de l'huile minérale ou du lactophénol, en pinçant la peau avant de racler (le trichogramme et les biopsies de surface sont moins sensibles). L'histopathologie cutanée montre les parasites dans les follicules pileux, ainsi qu'une dermatite d'interface folliculaire, une furonculose et une cellulite.

La démodécie localisée nummulaire ne nécessite aucun traitement, mais un suivi attentif et régulier est indispensable pour identifier les cas dans lesquels les lésions vont s'étendre et se généraliser. Le traitement est nécessaire dans la démodécie localisée diffuse et la démodécie généralisée, ainsi que dans la pododémodécie et l'otodémodécie. Des propriétés antidémodéciques ont été attribuées à de nombreux agents topiques. Ch. LEBLOIS écrivait en 1926: "Tous les topiques vantés ont ceci de remarquable, de donner des résultats étonnants entre les mains de leur auteur et d'échouer lamentablement entre les mains des autres." Scott a recensé en 1979 des données sur l'efficacité de 74 substances... qui sont toutes actives sur la démodécie localisée, qui guérit spontanément ! La thérapie, quand elle est indiquée, inclue des mesures préparatoires indispensables. La tonte est souvent nécessaire. Les lésions doivent être nettoyées de manière appropriée avec des shampooings antiséborrhéiques et antibactériens. Les shampooings au peroxyde de benzoyle ont un effet de flushing folliculaire et sont donc bénéfiques. L'amitraz utilisé par voie topique en frictions (à l'éponge) à 0,025%-0.05% est actif sur Demodex canis. Les pourcentages de guérison varient de 50 à 86%. Malheureusement les rechutes sont relativement fréquentes. L'utilisation d'un spot-on contenant de l'amitraz, appliqué toutes les 2 à 3 semaines (20 mg kg-1) a permis une amélioration clinique et une diminution des comptages parasitaires. Le traitement actuel de choix de la démodécie canine généralisée est basé sur l'administration d'agents antidémodéciques systémiques appartenant au groupe des lactones macrocycliques. L'ivermectine est une avermectine ayant une activité agoniste de l'acide gamma-aminobutyrique (GABA). Une administration orale quotidienne (0,3 to 0,6 mg kg-1) est très efficace, même après échec de l'amitraz. On administre oralement la forme injectable du produit ou la pâte à usage équin. Ce traitement est contre-indiqué chez les Collies, Shetlands, Bobtails, bergers australiens, bergers blancs suisses et leurs croisements. Cela est dû à une mutation homozygote, fréquente dans ces races, du gène MDR 1 (multidrug resistance 1) qui permet la pénétration de la molécule à travers la barrière hémato-méningée. Un test génétique ADN est maintenant disponible (les hétérozygotes ne présentent aucun risque). La doramectine, injectée par voie sous-cutanée ou administrée oralement à la dose de 0,6 mg kg-1 une fois par semaine, s'est montrée efficace dans deux études limitées. L'Interceptor® est une combinaison de milbémycine oxime A3 et de milbémycine oxime A4, en proportion 20/80, ayant une activité anthelminthique puissante et une activité antibiotique négligeable. Son activité anthelminthique résulte de la disruption de la neurotransmission de l'acide gamma amino butyrique (GABA) des invertébrés. La toxicité de l'Interceptor® chez les mammifères est faible y compris chez les Collies. Plusieurs études ont montré que des chiens atteints de démodécie généralisée peuvent répondre à des doses quotidiennes de 0,5 à 1 mg kg-1 (et même jusqu'à 3,1 mg kg-1). Le taux de guérison clinique et parasitologique varie de 60 à 96% en quelques mois (jusqu'à environ 1 an), le taux le plus élevé étant obtenu avec les doses élevées (> 1 mg kg-1 une fois par jour). La moxidectine est également efficace quand elle est administrée quotidiennement par voie orale. La solution injectable pour ruminants (1%) est administrée par voie orale à la dose de 0,2 à 0,4 mg kg-1 par jour et donne de bons résultats avec jusqu'à 96% de guérison en 2 à 6 mois, la négativation parasitologique étant obtenue en 2 à 7 mois. Le spot-on à 2,5% récemment mis sur le marché (Advocate®), appliqué toutes les 2 semaines, a donné un meilleur résultat chez des chiens atteints de formes peu graves que chez des chiens atteints de formes sévères. L'application hebdomadaire du produit est probablement plus efficace que l'application toutes les deux semaines ou tous les mois. Les pododémodécies et otodémodécies peuvent être traitées avec des lactones macrocycliques systémiques, ou l'amitraz localement. Aucune étude n'a démontré l'intérêt des "immunomodulateurs" dans le traitement de la démodécie généralisée. Le traitement antidémodécique est poursuivi jusqu'à ce que des raclages cutanés négatifs (et/ou des examens de cérumen) soient obtenus dans plusieurs zones (toujours les mêmes chez chaque chien), au moins deux fois à un mois d'intervalle. L'auteur contrôle les patients guéris 3 et 12 mois après l'arrêt du traitement. Lors de pyodémodécie, la pyodermite doit être traitée au plus vite et énergiquement avec des antibiotiques systémiques, après culture bactériologique et antibiogramme (particulièrement si l'examen cytologique a montré des bacilles). Des staphylocoques multi résistants et des bactéries gram-négatives (particulièrement Pseudomonas spp.) sont souvent isolés. Le traitement antibiotique est habituellement administré à long terme, en association avec un traitement topique approprié, notamment des shampooings au peroxyde de benzoyle. Les corticoïdes sont absolument contre-indiqués, même par voie topique. En l'absence de données réalistes sur la transmission de la démodécie juvénile, en particulier sa forme généralisée, la stérilisation des animaux atteints de démodécie localisée ou généralisée (même si elle a été guérie) est recommandée. La même précaution s'applique aux animaux ayant eu des cas de démodécie chez leurs descendants.

Demodex injai

Un nouveau Demodex du chien a été appelé D. injai en 2003. L'adulte est très long (350 à 400 µm) du fait d'un opisthosoma particulièrement long. Quelques cas ont été publiés ou présentés en congrès. L'anamnèse et l'examen clinique révèlent un état kératoséborrhéique gras surtout en zone dorso-lombaire, chez de jeunes adultes (plus de 2 ans ½) de race terrier ou autre. L'alopécie et le prurit sont variables. Une folliculite bactérienne et une dermatite à Malassezia secondaires peuvent être découvertes. Le diagnostic de cette nouvelle dermatose repose sur l'anamnèse, les signes cliniques et la mise en évidence des parasites. Ceux-ci peuvent être découverts dans de multiples raclages profonds. La thérapie est identique à celle de la démodécie à D. canis.

Demodex cati

Cet acarien fut découvert en 1859 par Leydig qui l'appela Demodex folliculorum var cati. Il fut renommé Demodex cati par Hirst en 1919. Il est semblable à D. canis (environ 200 µm de longueur). Les lésions localisées sont alopéciques, érythémateuses, comédoneuses, squameuses et/ou séborrhéiques avec des papules et/ou des pustules folliculaires, des érosions/ulcères, des croûtes et sont situées sur la tête (particulièrement les paupières), les pavillons auriculaires et le cou. Les lésions généralisées ont le même aspect avec une atteinte fréquente du tronc et des membres. Lichénification et hyperpigmentation peuvent être observées. Le prurit est variable, souvent absent ou faible. Rarement, une cellulite bactérienne secondaire peut survenir. L'otodémodécie due à D. cati est souvent associée à la dermatose mais elle peut aussi survenir de manière isolée. Le diagnostic de démodécie féline à D. cati se base sur l'anamnèse, les signes cliniques et la mise en évidence du parasite par l'examen microscopique de raclages, de trichogrammes et de cérumen. Les demodex peuvent être facilement découverts dans les lésions de carcinome épidermoïde multiple in situ. La démodécie localisée à D. cati est limitée et peut guérir spontanément. Néanmoins la thérapie peut être envisagée comme dans le cas de la forme généralisée. L'otodémodécie féline peut être traitée à l'aide d'amitraz dans de l'huile minérale (1/9, 1 ml d'amitraz à 5% dans 9 ml d'huile minérale) mais les demodex peuvent persister en dépit du traitement. Des bains hebdomadaires aux polysulfures de chaux à 2%, des frictions hebdomadaires à l'amitraz à 0,0125-0,025% et des injections sous-cutanées hebdomadaires de doramectine à la dose de 600 µg kg-1 sont efficaces. La milbémycine oxime et la moxidectine semblent efficaces par voie orale. Une pyodermite secondaire doit être traitée convenablement.

Demodex gatoi

Demodex gatoi fut découvert chez le chat en 1981 et fut baptisé en 1999. C'est un acarien court, vivant dans le stratum corneum (pas les follicules pileux) et de morphologie proche de celle de Demodex criceti, le demodex observé chez le hamster de Syrie (Mesocricetus auratus). L'anamnèse et l'examen clinique révèlent habituellement une dermatose prurigineuse chez de jeunes chats à poil court, avec alopécie (poil cassé), érythème, squamosis, excoriations et croûtes, en particulier sur la tête, le cou et les coudes et/ou flancs, ventre et membres postérieurs. Une hyperpigmentation peut apparaître et la maladie peut être symétrique. De plus l'anamnèse peut être suggestive à cause de l'existence de la maladie dans une région particulière (par exemple dans le Sud des USA comme au Texas) et/ou de la contagiosité. La maladie peut survenir en même temps chez plusieurs chats, dont des porteurs asymptomatiques chez lesquels le parasite est présent en grand nombre. En revanche, chez les chats prurigineux le parasite peut être difficile à découvrir même par raclages multiples, ce qui rend le diagnostic difficile. Celui-ci repose sur l'anamnèse, l'examen clinique et la mise en évidence du parasite. Le traitement est basé essentiellement sur les polysulfures de chaux aux USA, mais l'amitraz topique (0,0125 à 0,025%) ou l'ivermectine systémique sont aussi utilisés. Ces produits pourraient être employés en Europe, ainsi peut-être que la milbémycine oxime et la moxidectine.

Autres "Nouveaux" Demodex

Chez le chat, une espèce inhabituelle de demodex a été découverte autour d'amas de tiges pilaires facilement épilées et paraissait plus longue (et plus large) que D. gatoi mais plus courte que D. cati. Des biopsies furent récoltées chez 7 chats et ne montrèrent aucun parasite, mais seulement des signes de réaction d'hypersensibilité. Des frictions hebdomadaires aux polysulfures de chaux et des administrations quotidiennes d'ivermectine (300 µg kg-1) furent efficaces.

Chez le chien, un demodex court a été découvert dans quelques cas. Il pourrait vivre exclusivement dans le stratum corneum, comme Demodex gatoi. Il a été découvert en fait dans 4 pays sur 3 continents et pourrait être un mutant de D. canis ou une nouvelle espèce. Il a été appelé Demodex cornei de manière anecdotique (K. Mason). Il semble que ce demodex est présent seulement dans des cas d'infestation simultanée par Demodex canis.

Déclaration de Conflits d'Intérêt

Aucun conflit d'intérêt à déclarer.

References

Des références pour chaque paragraphe sont disponibles sur demande auprès de l'auteur.

 

Speaker Information
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Didier-Noël Carlotti, Dr vét, DECVD
Eysines, Bordeaux, France


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